Qu’est-ce que la proprioception ?
Comment ça fonctionne, la proprioception ?
La proprioception est basée sur un ensemble de messages sensoriels qui proviennent du corps. La modalité la plus importante, c'est la modalité musculaire. Des informations issues de nos muscles informent notre cerveau sur nos positions et les mouvements qu'on exécute. Cette modalité est prédominante, mais il en existe d'autres, comme la peau, les articulations ou les tendons musculaires. Il y a, dans nos muscles, de petits éléments qui sont des récepteurs sensoriels, qu'on appelle fuseaux neuromusculaires. Ils sont inclus dans l'ensemble des muscles squelettiques et ils informent cerveau sur les changements de longueur des muscles qui les contiennent. Par exemple, ils vont être étirés lorsque le muscle s'allonge et ils vont être raccourcis lorsque les muscles se contractent. Ils vont émettre un message qui permet donc de connaître le mouvement effectué, à quelle vitesse, de savoir dans quelle direction on est parti, de quelle position au départ jusqu'à quelle position à l'arrivée. Ces messages sont décodés au niveau du cerveau pour conduire à une sensation.
Est-ce que la proprioception est à mettre en lien avec la douleur du membre fantôme, dont souffrent les personnes amputées ?
La douleur du membre fantôme, c'est souvent dû au fait qu'il y a une représentation cérébrale qui existe encore alors que le membre a disparu. Donc c'est lié. Parce que le membre existait, il avait sa représentation, c'est-à-dire que ses informations étaient transmises et intégrées au niveau du cerveau. Et puis, ce membre disparaissant, il n'y a plus de messages qui arrivent, mais la représentation persiste. Alors une manière de rétablir cette discordance pourrait être, et cela fait partie des objectifs de recherche actuels, de faire comme si ces messages étaient pertinents en réinjectant des informations au niveau du moignon, pour qu'il n'y ait pas de discordance entre la réalité et ce que le cerveau nous dit.
Est-ce que les émotions fortes ont une influence sur notre proprioception?
Oui. On a montré récemment que la proprioception musculaire peut varier en fonction de notre état émotionnel. Et pour montrer ça, on a comparé la réponse aux mouvements de ces récepteurs en mettant un sujet dans des états émotionnels différents grâce à l'écoute de musique. Alors, on a fait écouter des musiques gaies, tristes, neutres, ou pas de musique du tout et on a comparé la réponse au mouvement des récepteurs musculaires dans ces différentes conditions. On a pu voir que quel que soit notre état, positif ou négatif, c'est-à-dire de tristesse ou de joie, nos récepteurs musculaires sont plus excitables. Ce qui est très étonnant avec ces récepteurs, et c'est ce qui m'a passionné pendant des années, c'est qu'ils présentent une sensibilité qui est variable et qui peut être contrôlée par le système nerveux central. Notre cerveau peut commander directement nos récepteurs musculaires de façon à les rendre plus ou moins sensibles en fonction du contexte dans lequel on exécute une action. Il peut même les rendre plus sensibles aux positions ou au contraire, plus sensibles aux mouvements. Il y a donc un réglage qui est très fin de la sensibilité musculaire.
Si on est dans une situation très stressante, comme une agression ou une situation de danger, tous nos récepteurs sont sur le pont ?
Exactement, et y compris les récepteurs musculaires. Dans ces cas-là, on a une perception qui est accrue, on va percevoir le son ou une excitation cutanée plus intensément. Nos sens sont exacerbés et c'est vrai aussi pour la proprioception musculaire, que ce soit dans une situation positive ou négative. On a été étonnés de constater ça, parce qu'on s'attendait à avoir une excitation accrue lorsque le sentiment était positif, parce qu'on a tendance à bouger beaucoup lorsqu'on est content, et à se replier sur soi-même lorsqu'on est triste. En fait, c'est vrai dans les deux cas et c'est dans la situation où on faisait écouter des musiques tristes qu'on a observé une sensibilité encore plus accrue. Nos récepteurs informent sur le mouvement, mais ils ont aussi le rôle d'assister les mouvements. Quand on a peur, on va avoir tendance à fuir, et quand on est heureux, on va avoir tendance à s'approcher. Dans tous les cas, l'émotion génère de l'action et l'augmentation de la sensibilité musculaire va permettre de faciliter les mouvements qui sont déclenchés par les émotions.
Est-ce que des dispositifs comme les casques de réalité virtuelle peuvent venir brouiller les informations proprioceptives ?
Le truc, c'est que l'information visuelle est toujours prédominante. Si on est dans une situation où les informations visuelles et les informations proprioceptives sont discordantes, c'est la vision qui va gagner. Si on nous fait croire qu'on est en train de tomber d'un immeuble, la proprioception ne sera pas prise en compte parce qu'on est immergé dans un cadre sensoriel qui est majoritaire et majeur, qui est la vidéo.
Aujourd’hui, sur quoi s’oriente la recherche ? Y a-t-il de grands objectifs ?
J'arrive à la retraite, j'ai fait pas mal le tour de la question ! Actuellement, ce qui est dans le vent, c'est tous les aspects multisensoriels. Comment la proprioception s'accorde avec les autres modalités sensorielles ? Qu'est-ce qui prédomine? Dans quelle situation l'une ou l'autre va être majoritaire? Comment elle peut être modifiée selon le contexte? Comment aider à pallier des déficits en faisant appel à une modalité en particulier ? Il me vient à l'idée quelque chose, que j'aurais bien aimé explorer. Je pense que le fait que le mouvement soit favorisé par l'écoute de musique triste pourrait être un outil pour aider les personnes dépressives, qui ne bougent plus. Si on leur fait écouter de la musique triste, déjà, ils adhérerons plus que de la musique gaie, et ça pourrait s'inscrire dans un traitement, entre guillemets, qui pourrait les aider à réactiver le mouvement en boostant leur proprioception musculaire. C'est une hypothèse de travail, qui reste encore dans les tiroirs.
Si vous voulez en apprendre plus, vous devriez vous intéresser aux NeuroStories, organisées chaque année par l'institut NeuroMarseille. L'édition 2021, à laquelle a participé Edith Ribot-Ciscarn est à (re)voir ici.