Idée /

Glottophobie : quand l’accent déchante

Vous êtes-vous déjà retrouvé en terre inconnue, entouré d’un peuple qui parle pointu, et qui s’évertue à répéter tout ce que vous dites « avé l’accent » ? Dans ce cas, vous vous êtes frotté à la glottophobie. De la simple moquerie à la discrimination, la glottophobie est l’un des sujets de recherche de Médéric Gasquet-Cyrus, Maître de conférences en sociolinguistique à l’Université d’Aix-Marseille. Nous l’avions découvert lors de la conférence 13 minutes organisée par AMU, il revient pour Magma sur ce sujet passionnant.

Peux-tu m'expliquer ce qu’est la glottophobie ?

La glottophobie, c'est la discrimination d'une personne en fonction de sa façon de parler. Ça peut être une personne qui est discriminée parce qu'elle parle une langue particulière, par exemple l'arabe ou le kurde, ou ça peut être une discrimination à l'accent, donc dans une langue donnée, une façon de parler.

Comment est-ce que ça se concrétise dans la vie courante?

Ça se concrétise avec des degrés effectivement très différents. La notion de glottophobie a été développée par un linguiste qui s'appelle Philippe Blanchet. Elle s'inscrit dans le paradigme de tout ce qui est islamophobie, xénophobie, homophobie, etc. C'est vraiment le rejet d'une personne en l'assignant à une catégorie par rapport à sa façon de parler, comme ça peut -être le cas pour sa couleur de peau, sa préférence sexuelle, etc. Une petite moquerie sur l'accent de quelqu'un, ou par exemple imiter l'accent de quelqu'un, c'est vrai que ça peut paraître léger. Ça peut ne pas être condamnable, mais au bout d'un moment quand c'est répété, ça peut devenir de la glottophobie. Les Marseillais à qui on dit "oh marseilleuh oh putaing cong le paing" : une fois, deux fois, ça va. Au bout de trois fois ça gonfle. L'imitation de l'accent de l'autre, je dirais que c'est le degré le plus léger. Après ça peut être des remarques désobligeantes, du genre "ton accent il est pourri". Pour prendre un exemple tout récent, j'entendais la dernière fois à la radio une violoniste qui avait l'accent du sud, et qui s'est faite corriger sur sa manière de dire "fantôme". Il y a une forme de discrimination parce qu'il n'y a aucune raison qu'une personne parle conformément à ce que l'on voudrait. Là, ce sont des choses relativement courantes, légères, qui peuvent blesser les gens, mais pas plus.

« On entre vraiment dans la discrimination quand on prive une personne d'accès à des ressources, comme un emploi ou un logement. »

Ensuite, on entre vraiment dans la discrimination quand on prive une personne d'accès à des ressources, comme un emploi ou un logement. Quand, par exemple, une personne appelle pour un appartement et qu'en fonction de son accent elle va être cataloguée comme appartenant à telle communauté, tel groupe, telle nationalité, etc. Là où c'est très concret, et où on a beaucoup de témoignages, c'est dans une même profession, des gens à qui on va faire des remarques sur leur accent et à qui on dit que s'ils ne changent pas leur façon de parler, ils seront réduits dans leurs activités. C'est très, très classique dans les écoles de journalisme, où on va dire à une personne qu'avec un accent fort, elle fera la météo, le sport ou de la presse écrite, mais ne prétendra pas parler de politique ou de sujets sérieux. Cela veut dire que la personne ne peut pas avoir accès à une promotion interne ou à une activité en raison d'un seul critère. C'est très difficile à évaluer parce qu'on n'a pas d'enregistrement, on n'est pas présent sur place.


Justement, sur quelles données t’appuies-tu pour mener ton travail de recherche ?

On s'appuie, notamment, sur les réseaux sociaux. Tous les commentaires sur Twitter, Facebook, que les gens font sur une façon de parler et qui montrent bien qu'il y a une méconnaissance de ce que c'est que la variation, parce qu'encore une fois, parler avec un accent ce n'est pas faire des fautes ou être moins intelligent. Des remarques comme ça peuvent se retrouver dans des discours de presse. On se souvient de l'ancien patron de France Télévisions qui avait affirmé qu'il était hors de question que quelqu'un avec un accent présente le journal parce qu'il faut être crédible. C'est de la discrimination qu'on peut trouver écrite noir sur blanc. Après, on travaille surtout à partir d'entretiens, qui est une méthode classique en sciences sociales. On va faire des interviews de personnes qui nous racontent leur expérience. Et là, on entre dans le détail pour voir un petit peu les mécanismes. Par exemple, un couple de profs retraités dans le Sud-Ouest racontent que quand ils parlaient, en réunion notamment, les gens commençaient à se marrer. Lui, il roulait les "r". Il n'y a pas de conséquence directe dans le sens où on ne l'a pas viré, mais il en a beaucoup souffert. Il disait qu'il devait en faire deux fois plus pour être crédible. Il y avait une forme de discrimination.

Il y a des cas assez célèbres...

Le plus célèbre, le plus récent, c'est Mélenchon il y a trois ans. Mélenchon sort de l'Assemblée nationale, il est super tendu parce que la veille, il y a eu une perquisition chez lui. Une journaliste de France 3 Toulouse pose une question qui embarrasse Mélenchon. Son premier réflexe, c'est de faire semblant de pas comprendre en disant "mais qu'esseuh que ça veut direuh" : il imite l'accent de la journaliste. Tout de suite, dans la seconde, il se rend compte que c'est un peu con ce qu'il fait, donc il répète sans l'accent « mais qu'est-ce que ça veut dire? » Mais c'est trop tard. Déjà, il a décrédibilisé la personne en imitant son accent et il aggrave son cas 30 secondes plus tard en disant "Olala mais est-ce que quelqu'un a une question en bon français, parce que je ne comprends pas ce que vous dites". Il ne parle pas forcément de l'accent à ce moment-là, mais c'est tellement proche qu'il se grille tout seul. Un autre cas, plus rigolo, c'est Francis Cabrel qui va enregistrer son premier album en 77 et qu'on reprend sur le prononciation du mot "rose". Lui, ça ne l'a pas privé de boulot.


Est-ce que tu as des ouvrages de référence à conseiller à nos lecteurs qui voudraient aller un peu plus loin ?

L'ouvrage de Philippe Blanchet, qui s'appelle Glottophobie, combattre la discrimination. Je dirais aussi, dans un registre plus grand public, le livre du journaliste Jean-Michel Apathie et de Michel Feltin-Palas intitulé J'ai un accent, et alors ?. Lui, c'est l'exception qui confirme la règle, il a toujours gardé son accent, y compris pour faire des éditos politiques très sérieux. Et bien sûr, j'invite les lecteurs à regarder la conférence de 13 minutes lorsqu'elle sera en ligne.