Romain Gary, l’homme palimpseste
Niveau 1 : Un double littéraire pour un doublé historique
Devenir un autre est un art dans lequel Romain Gary est très vite passé maître. Dès l’âge de 14 ans, alors qu’il quitte la Pologne pour s’installer à Nice, il francise son prénom en Romain. Engagé dans la résistance, il choisit de se faire appeler Gary (traduction russe de « brûle ! ») et officialise ce nouveau patronyme à l’état civil en 1951. Mais le refus d’être emprisonné dans une seule identité est plus fort. Tour à tour, il signe ses écrits des pseudonymes de Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat, René Deville... Mais c’est avec celui d’Emile Ajar qu’il provoque un véritable séisme. Au mitan des années 1970, Romain Gary est devenu la cible des critiques. Est-ce pour y échapper ou pour mieux se renouveler qu’il publie La vie devant soi sous un nom d’emprunt ? Plébiscité par la critique (« Ajard, c’est quand même un autre talent que Gary » déclarera le magazine Lire), la supercherie fonctionne… trop bien. Le 14 septembre 1975, sous cet alias, Romain Gary transgresse l’ultime interdit littéraire en remportant pour la seconde fois le Prix Goncourt. Pour éviter d’être démasqué, il demande à son petit-cousin Paul Pavlowitch de jouer le rôle d’Ajard dans les médias. Malgré les doutes de certains, sa véritable identité ne sera révélée qu’après la mort de Gary propulsant l’auteur du côté des légendes.
Niveau 2 : Des œuvres à la frontière de l’autobiographie
Ce besoin de se réécrire Gary en fait la matière première de ses ouvrages. Éducation européenne (1945) s’inspire de son expérience d’aviateur durant la Seconde Guerre mondiale tandis que Chien Blanc (1970), plaidoyer contre les racismes, a pour trame l’engagement de Jean Seberg, sa femme, pour les droits des Noirs Américains. Pour mieux brouiller les pistes, il s’amuse à mélanger éléments autobiographiques et de fictions. Dans le proclamé autobiographique La Promesse de l’Aube (1960) l’auteur enjolive et réinvente ses souvenirs d’enfance comme pour ne pas livrer entièrement son intimité à l’avidité des lecteurs. Mais loin d’être un écrivain narcissique, Romain Gary se démarque par son humour, son sens de la formule et son aspect visionnaire. Les Racines du ciel (prix Goncourt 1956) aborde la protection de la nature, des espèces animales et in extenso celle de l’humanité. « Il fallait s'attaquer au fond du problème : la protection du droit d’exister. On commence par dire, mettons, que les éléphants c'est trop gros, trop encombrant [..] puis on finit par dire la même chose de la liberté. La liberté et l'homme deviennent encombrants à la longue... » fait-il dire à un de ses personnages.
Niveau 3 : Un homme aux multiples vies
En 1938, Romain Gary effectue son service militaire à la base aérienne de Salon-de-Provence. Durant la guerre, il s’illustre dans les Forces aériennes françaises libres en effectuant plus de vingt-cinq missions lui valant le grade de capitaine. Décoré de la Croix de guerre et de la Légion d’Honneur, il entame une carrière de diplomate au service de la France qu’il l’entraînera en Bulgarie, en Suisse et aux États-Unis. Devenu consul général de France à Los Angeles, il côtoie le gottah et tombe éperdument amoureux de l’actrice Jean Seberg. Pour elle, il se fait réalisateur et lui écrit les scénarios de Les oiseaux vont mourir au Pérou et Police Magnum. Le 2 décembre 1980, il tire un trait sur cette mosaïque de personnages d’une balle dans la bouche, laissant derrière lui un patronyme à jamais entré dans l’histoire de France.