Culpabilisation de la masturbation : on ne leur dit pas merci
Onan
Avec les religions, c’est rarement la fête du slip. Du côté de la religion catholique, le sexe a toujours été considéré uniquement comme un moyen de procréer, dans le cadre du mariage, disqualifiant de facto toutes les autres pratiques. Si elle a davantage insisté sur la condamnation de l’inceste, de la fornication, de la sodomie ou de l’adultère, on lui doit aussi la notion de crime d’Onan, c’est-à-dire l’onanisme, aka la branlette. Onan, c’est le fils de Juda. Il a un frère, Er, qui est mort après avoir épousé Tamar. Comme le voulait alors la tradition, Onan devait épouser la veuve de son frère afin de lui donner une descendance. Sauf qu’Onan n’était pas super chaud. Dans la Bible, on lit : « Alors Juda dit à Onan : va vers la femme de ton frère, prends-la comme beau-frère et suscite une postérité à ton frère. Onan, sachant que cette postérité ne serait pas à lui, se souillait sur terre lorsqu’il allait vers la femme de son frère, afin de ne pas donner de postérité à son frère. Ce qu’il faisait déplu à l’Éternel qui le fit aussi mourir. » Depuis, la masturbation est associée à ce pauvre Onan, alors qu’il a plutôt pratiqué le coitus interruptus. Mais ne chipotons pas, puisque la contraception est aussi techniquement un péché.
John Marten
Ce bon vieux John est chirurgien et pornographe, mais surtout charlatan. En 1712 à Londres, il a une idée de génie : publier Onania ou l’odieux péché de pollution de soi-même. C’est un best-seller. Dans ce pamphlet, il attribue à la masturbation tout un tas de tares - cécité, folie, mort prématurée, démence, tuberculose – puis préconise un remède simple : une teinture revigorante et une poudre dont lui seul a le secret, pour seulement 12 shillings. La bonne nouvelle, c’est qu’il s’est fait des « cojones » en or massif. La mauvaise, c’est que beaucoup de gens l’ont cru.
Samuel Auguste Tissot
Ce médecin et hygiéniste est sans conteste notre champion ! Il a tout pompé sur Marten, mais sans l’arnaque, juste pour le plaisir de traumatiser tout le monde. L’œuvre de sa vie, L’Onanisme, dissertation sur les maladies produites par la masturbation, est publiée en 1766. Avec lui, tout est permis : « La trop grande perte de semence produit la lassitude, la débilité, l’immobilité, des convulsions, la maigreur, le dessèchement, des douleurs dans les membranes du cerveau ; émousse le sens, et surtout la vue ; donne lieu à la consomption dorsale, à l’indolence et à diverses maladies qui ont de la liaison avec celles-là. ». Ambiance. On remarque au passage que l’idée du gâchis de sperme - ô précieuse semence - est un argument massue contre la masturbation. Pourtant les femmes, qui n’en produisent pas, n’échappent évidemment pas aux tares cis-décrites.
Rousseau
Contemporain de Tissot, Rousseau est un grand fan du médecin, avec qui il a entretenu une longue correspondance. Dans Émile ou de l’Éducation, le précepteur l’encourage à s’abandonner à la débauche plutôt « qu’au plaisir solitaire qui anéantit la volonté ». Rousseau défend l’idée que la masturbation est addictive par nature car elle s’exerce seul, avec l’imagination pour seul carburant, et sans qu’un partenaire ne puisse y mettre le holà. Or, le temps passé à s’astiquer le poireau est du temps perdu pour réaliser de grandes choses ! Ainsi, sans personne pour nous arrêter, nous sommes condamnés à la pratiquer à l’excès, voués à l’insatisfaction et l’inaction.
Freud
Ah, Sigmund, toujours là où on l’attend. Pour lui, la masturbation, c’est un truc de gamin. Un adulte normalement constitué, qui est arrivé au bout de son développement sexuel, ne se masturbe plus. Ou alors, c’est qu’il est frustré. De ce côté-là, tout le monde est logé à la même enseigne. Mais il a, comme à son habitude, réservé un petit bonus pour les femmes. Car une femme adulte doit trouver son plaisir par le vagin, et le vagin uniquement. Ciao, clitoris ! Celles qui, adultes, continuent de pratiquer l’orgasme clitoridien, seule ou en couple, sont immatures sexuellement et donc... frustrées. On ne s’épanchera pas sur ce que les théories freudiennes ont coûté à l’épanouissement sexuel des femmes (nous manquerions d’encre) mais on rappellera quand même (Sigmund, si tu nous entends) que l’orgasme dit vaginal est techniquement un orgasme clitoridien.
À suivre ...
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