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Est-ce que « tuer l'ennui » met votre santé mentale en danger ?

Rares sont les gens qui aiment s’ennuyer, et nombreux sont ceux qui s'emmerdent très facilement lorsqu'ils ne sont pas sollicités. Bonne nouvelle, à en croire la plupart des neurologues, l’ennui serait un compagnon bienfaisant qui favoriserait l’inventivité et la faculté d’anticipation.

« Je me suis beaucoup ennuyé pendant mon enfance. » Voilà ce qu’on peut lire dans la correspondance privée d’Albert Einstein, qui a été publiée des années après sa mort. Faut-il pour autant y voir un effet de corrélation avec le génie du célèbre physicien ? Difficile à dire tant l’ennui dispose d’une acception négative : on l’associe spontanément à l’inactivité, à la vacuité ou à la monotonie. Pour cette raison, il est redouté et on entend souvent dire qu’il faut « tuer l’ennui ».

« L'ennui permet au cerveau de reprendre de l'oxygène. »

Pourtant, de nombreux scientifiques tempèrent cette intuition et soulignent son importance. L’ennui – quand il n’est pas pathologique – aurait non seulement des effets bénéfiques sur le cerveau, mais stimulerait également la créativité. « Le cerveau ne peut pas être réceptif en permanence, souligne Erwan Devèze, chercheur en neurosciences. Il a besoin de temps de repos et de régulation émotionnelle. À cet égard, l’ennui a une fonction indispensable : il permet au cerveau de reprendre de l’oxygène. » Selon le chercheur, l’ennui a également la vertu de projeter l’individu au-delà de l’instant présent. « Naviguer dans d’autres dimensions permet de travailler sa capacité d’anticipation et sa créativité. Le temps passé à ne rien faire n’est absolument pas du temps perdu. »

Un marqueur social qui peut générer de la stigmatisation

Didier Pleux, docteur en psychologie du développement, partage cette vision. L’homme a théorisé l’intolérance à la frustration avec son « complexe de Thétis ». Selon lui, l’ennui est indispensable à la construction d’êtres humains psychiquement équilibrés, raison pour laquelle il faut l’expérimenter dès le plus jeune âge. « Les enfants doivent être éduqués à l’ennui et apprendre à composer avec le manque, détaille-t-il au micro de France Inter. S’il n’y a jamais de privation, de déplaisir ou d’effort dans la vie de l’enfant, il peut devenir un être intolérant à la frustration, qui attend de la vie qu’elle soit toujours fun et stimulante. Le risque, c’est qu’il soit très fragile quand le principe de réalité s’imposera à lui. »


Face à ces nombreux bénéfices, comment se fait-il que l’ennui ait à ce point mauvaise presse ? Erwan Devèze apporte un premier élément de réponse. « Aujourd’hui, il est plus difficile d’accepter l’ennui car il est devenu un marqueur social. Si vous revenez de vacances et que vous n’avez rien fait d’extraordinaire, vous pouvez être stigmatisé… » Pour Patrick Lemoine, psychiatre et chercheur en neurosciences, c’est plus globalement l’industrie du divertissement qui est en cause. « L’ennui, c’est le vide et la nature a horreur du vide. L’industrie du divertissement a bien compris cela et tente de combler ce vide en hyper-stimulant les gens. Le problème, c’est que ça rend idiot car cela empêche de développer des capacités de créativité. Heureusement, c’est tout l’inverse qui se produit quand on comble ce vide avec des rêveries, c’est-à-dire de l’imagination et de l’intelligence. » Et vous, c’est quand la dernière fois que vous avez mis les écrans de côté pour laisser libre cours à vos pensées ?