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Infobésité : sommes-nous devenus débiles ?

Les partisans du « c’était mieux avant » (qui ne semblent d’ailleurs jamais mourir), s’entêtent à le répéter : les jeunes d’aujourd’hui, c’est plus ce que c’était. Les écrans et la surinformation nous auraient-ils rendu complètement abrutis ? Nous avons interrogé Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation, pour avoir le fin mot de cette histoire.

La surcharge informationnelle modifie-t-elle nos fonctions cognitives ?

Pour l’instant, les données dont nous disposons ne vont pas dans ce sens. Dans les laboratoires de neurosciences, nous essayons de mesurer, via des tests, la capacité de lecture ou l’intelligence. Jusqu’à il y a quelques années, on avait une augmentation du score sur des tests d’intelligence de la population générale. Maintenant, cela ne progresse plus. Cela ne veut pas dire que les gens deviennent moins intelligents, cela veut dire qu’on est probablement à un tournant dans la façon dont on conceptualise l’intelligence et la connaissance. Nous avons moins besoin d’emmagasiner des connaissances, parce que nous avons tout à portée de main. Il n’est donc pas impossible que notre intelligence soit en train de changer. Mais il faut expliquer au public ce qu’est la métacognition et connaître les processus qu’on utilise dans un certain nombre de tâches et de situations. Pour développer sa pensée critique, qui est je pense le trait d’intelligence le plus important à développer aujourd’hui, avec la problématique de surexposition à l’information, il nous faut un système de tri et de détermination de la qualité de l’information.

Quel impact cela a-t-il sur nos capacités de décision ?

Un certain nombre d’études suggère qu’en ayant trop d’informations, on arrive à un seuil critique où l’on n’arrive plus à prendre de décision. On se retrouve dans une situation où l’information est trop complexe à traiter. Les gens qui prennent les meilleures décisions et qui font les meilleures prédictions sur ce qui va se passer dans le futur sont ceux qui vont chercher des informations discordantes, qui recherchent plusieurs points de vue pour une même information. Ça leur permet de développer une forme d’objectivité. Dans un monde où l’information fourmille, l’enjeu est déjà d’essayer de se forger sa propre opinion.

« Les jeux de type Fortnite ont, d'un point de vue cognitif, un effet positif. »

Sommes-nous plus enclins à effectuer plusieurs tâches en même temps ?

Il n’y a pas d’augmentation de la capacité à être multitâche, par contre il y a effectivement une tendance plus générale à se mettre dans des situations de multitasking, dont on sait qu’elle peut être extrêmement délicate pour notre cerveau. Nous avons des ressources attentionnelles limitées, et si vous vous amusez à distribuer vos ressources sur deux tâches en même temps, cela a des effets négatifs pour l’une et l’autre des deux tâches. Le seul domaine où il semble qu’il y ait une amélioration du multitasking, c’est pour des gens qui jouent aux jeux vidéo. C’est toujours paradoxal, parce que ces jeux type Fortnite ont plutôt mauvaise presse, alors que d’un point de vue cognitif ils ont un effet positif.

Doit-on s’inquiéter de voir notre cerveau s’endommager ?

Notre cerveau ne s’est pas transformé suite à l’apparition de l’écriture, il y a plus de 6000 ans. Ça prend du temps de transformer un tissu biologique suite à un changement d’environnement. Les cerveaux d’aujourd’hui sont identiques à ceux de nos arrière-arrière-grands-parents par exemple, alors qu’ils ont évolué dans un contexte très différent du nôtre. Quand on utilise des tests d’attention normés, qui sont les mêmes qu’il y a 30 ou 40 ans, globalement on ne voit pas de déficit d’attention qui serait en train d’apparaître au niveau de la société. Il est donc peut-être plus difficile de rester concentré aujourd’hui, mais nous avons toujours les mêmes facultés à être efficaces et concentrés.






À suivre ...