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Fabuler la fin du monde : la dystopie a du bon ?

Alors que notre quotidien prend d’inquiétantes allures de fin du monde, plongeons dans l’essai Fabuler la fin du monde, de Jean-Paul Engélibert. Ce professeur de littérature comparée analyse la puissance critique des fictions d’apocalypse, et nous offre un recul salvateur.

Réchauffement climatique, crises économiques, disparition des espèces, montée des eaux, pandémie mondiale... Ces dernières années, les scientifiques du monde entier ne cessent de tirer la sonnette d'alarme, et de détailler le scénario catastrophe qui attend l'Humanité. La fin du monde n'est plus une fiction, elle devient une réalité tangible - que nous aurons bientôt la joie d'expérimenter. Cette perspective, étayée par de nombreux faits scientifiques, s'exprime par de nouvelles notions comme l'anthropocène. Ce terme, sujet à débat, a été proposé pour définir une époque de l'histoire de la Terre où les événements géologiques sont à mettre en corrélation directe avec les activités humaines. Autrement dit, un beau bordel planétaire signé Bibi himself. La conviction que le monde entier va à sa perte porte même un nom : la collapsologie. Ce terme a été inventé par Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur essai Comment tout peut s'effondrer, paru aux éditions du Seuil en 2015, et qui a connu un succès retentissant. (Les premières pages sont à lire ici)

Dystopie party

C'est le genre de lecture qui vous donne envie de paniquer. Même si vous êtes un athée convaincu, vous envisagerez de courir dans tous les sens, les bras levés vers le ciel, priant pour une intervention divine. C'est là que Jean-Paul Engélibert intervient. Dans Fabuler la fin du monde, il nous invite à réévaluer les œuvres littéraires et cinématographiques consacrées à l'apocalypse. En plus de nous faire découvrir des bouquins à ajouter à notre liste de lecture (Le dernier homme de Cousin de Grainville, ou Ignis de Didier de Chousy, entre autres) il ouvre des pistes de réflexion intéressantes. Il commence par nous rappeler que les scénarios dans lesquels l'apocalypse arrive par la main de l'homme ne datent pas d'hier : on en trouve dès l'antiquité. Mieux, chaque période a finalement enfanté son propre récit dystopique.


Métro, boulot, chaos

Imaginer la catastrophe, c'est « projeter dans le futur une vision du présent », nous dit Engélibert. Les scénarios apocalyptiques ou dystopiques prennent souvent pour point de départ une analyse de la société. Ils mettent en exergue ses dysfonctionnements et ses dangers : monde contrôlé par les machines ou l'intelligence artificielle, société détruite par un autoritarisme devenu fou, réduite à néant par des accidents nucléaires ou par une catastrophe écologique. Ils expriment un trop plein, une angoisse. Anticiper la catastrophe pour mieux la vivre en somme. Car penser la fin du monde, c'est penser l' après : pour le meilleur ou pour le pire. En portant un regard critique sur le monde tel qu'il est, on envisage des scénarios pour y échapper.

Imaginer la catastrophe, c'est « projeter dans le futur une vision du présent »

Retour aux (re)sources

Penser l'apocalyse reviendrait donc à requalifier la vie telle que nous la connaissons, notre présent. Puisque plus rien n'existe, il ne nous reste plus qu'à effectuer un retour aux sources et à remettre – drastiquement - de l'ordre dans nos priorités pour repenser notre rapport à la modernité, au politique, à la nature, bref, à repenser les sociétés dans leur ensemble. Cela revient à se poser une question très simple et pourtant fondamentale : de quoi ont besoin les humains ? De nourriture, d'abris, de sécurité, de paix, des autres, du collectif, etc. Repartir de zéro nous permettrait de réattribuer les valeurs que nous accordons aux choses et aux personnes. Il est parfois bon, au milieu du chaos, de se rendre disponible au nouveau, de manière radicale s'il le faut.


Fabuler la fin du Monde, de Jean-Paul Egélibert, éditions La Découverte, 20 €