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Hafsia Herzi : « Quand l’envie de jouer est venue, celle d’écrire aussi »

Actrice et réalisatrice, Hafsia Herzi foulait il y a quelques mois le tapis rouge de la Croisette. Son deuxième long-métrage, Bonne mère, a été récompensé du Prix d’Ensemble de la section « Un certain Regard » à Cannes. Elle nous a parlé de ce film, tourné dans le quartier où elle a grandi, à Marseille.

Tu as été connue du grand public avec tes rôles dans des films comme La graine et le Mulet ou La source des femmes. J'ai lu que tu avais pris des cours de comédie relativement tard. C'est vrai ?
Alors ce n'étaient pas des cours de comédie, c'étaient des cours pour perdre l'accent marseillais, parce que j'ai été surprise de voir que c'était considéré comme un handicap. D'ailleurs, pour Bonne mère, quand j'ai dit que je ne voulais que des comédiens avec l'accent, les gens étaient surpris. Pour ce qui est de jouer la comédie, j'ai appris sur le terrain. Tout de suite, j'ai compris qu'il fallait jouer à l'instinct et écouter le réalisateur. Après, j'ai été à bonne école avec La graine et le mulet. Franchement, c'était une formation accélérée.

Quel a été le déclic pour vouloir passer derrière la caméra ?
C'est venu tout de suite, dès petite. Quand l'envie de jouer est venue, celle d'écrire aussi. J'écrivais déjà des scénarios... qui ne ressemblaient pas à des scénarios. Quand j'ai commencé à jouer en tant qu'actrice, j'ai parlé de ma passion de l'écriture à Kechiche. Il a lu les petites histoires que j'écrivais et m'a fait des retours. Il m'a encouragé, m'a offert des livres sur le cinéma, m'a donné des conseils. En écrivant, j'ai vite vu que c'était un gros travail, beaucoup de solitude, qu'il fallait beaucoup de persévérance, de rigueur. J'ai compris que de toute façon, si je ne me levais le matin pour écrire, personne n'allait le faire pour moi. Mais en même temps, c'était passionnant, c'était un défi pour lequel j'avais envie d'aller au bout


J'imagine que les nombreux réalisateurs et réalisatrices avec qui tu as travaillé t'ont appris pas mal de choses.
Oui bien sûr, on apprend beaucoup. Quand on est curieux, on regarde, on s'intéresse aux cadres, à la technique, on échange avec les techniciens. Franchement, en tant qu'acteur, on a une bonne place, parce qu'on peut voir les erreurs à ne pas commettre, les choses auxquelles il faut faire attention. Mais je pense qu'il n'y a pas réellement d'apprentissage. Il y a une base technique, c'est sûr, mais chaque cinéaste est différent. Ça se fait à l'instinct et avec ce qu'il y a dans la tête du réalisateur.

Tu as toi-même grandi dans une cité des quartiers Nord, quelle est la part d'autobiographie dans ce film ?
Oui, l'histoire se passe dans la cité où j'ai grandi. On n'aurait pas pu tourner dans une autre cité. En tant qu'ancienne habitante, c'était plus simple pour moi de tourner là-bas parce que j'avais encore des amis d'enfance, des gens que je connaissais. Il y a la nouvelle génération maintenant, qu'on ne connait pas et qui fait la une des médias. Mais j'ai toujours voulu faire un film sur ce quartier. Le montrer et immortaliser ses tours, usées avec le temps, à l'abandon, et qui ne sont pas améliorées depuis que je suis partie.


Dans le film, il y a beaucoup de personnages féminins qui ont des âges différents, des profils différentes, des valeurs différentes aussi. Est-ce que tu peux nous en parler?
J'avais d'abord envie de faire un portrait de femme, de maman, mais aussi celui de femmes de générations différentes. Ce n'est pas que j'ai du mal avec les garçons, mais ça m'inspire moins. Je voulais montrer des femmes libres. Des femmes qui n'ont pas peur, des femmes dignes, la mère, la belle fille, la petite fille, l'avenir. C'était important pour moi.

Leur rapport aux hommes est intéressant...
Oui. Le père, dans mon imaginaire, est décédé. On voit le personnage principal vendre son alliance. Si elle avait divorcé, elle l'aurait enlevée. Je n'ai pas voulu qu'on se demande où il est. On s'en fout. Il n'est pas là, elle est seule. Après le rapport aux hommes, il passe par celui au sexe, à l'argent et à l'amour. On peut le voir dans une scène où la fille se dispute avec le père de sa fille qui, lui, n'assume pas sa paternité. C'est malheureusement la réalité du terrain et j'avais envie de montrer ça.

Il y a beaucoup de violence dans le film, elle est sociale, verbale, physique...
On ne voit pas de violence physique mais on la sait présente. Et c'est la réalité de la vie, de ces gens-là. Même si ce n'est pas celle de tous les gens qui vivent là-bas, c'est une réalité. Je n'avais pas envie de tricher. Je ne voulais pas de filtres, pas de tabous. C'est pour ça que même si parfois il y a des dialogues crus, c'est complètement assumé, voulu, parce que c'est la réalité du terrain.

Les phrases fusent dans le film, ça va très vite et ça monte très vite dans les tours. Tu avais tout écrit ?
Oui. La première version du scénario date de 2007, donc ça fait 14 ans de réflexion, quand même. C'est très écrit, le scénario tourné fait 150 pages, même s'il y a eu beaucoup de coupes. J'accorde une très grande importance aux dialogues. Je veux que ça se coupe la parole, que ce soit vivant. Il y a un gros travail de direction d'acteurs derrière.

D'ailleurs tu les as sélectionné comment ces acteurs ?
Avec un casting sauvage. Je me suis dit : voilà, c'est un casting pas commun, donc il faut quelqu'un qui n'a pas l'habitude de faire ça. J'ai proposé à mon frère qui a tout de suite accepté. Il a fait les sorties de parloir, tous les quartiers Nord, le centre-ville. Il avait des petits prospectus, il a fait de l'affichage. Et voilà comment les acteurs ont été trouvés.

Qu'est-ce que tu conseillerais à nos lecteurs étudiants qui rêvent de cinéma?
Vraiment de se battre, d'y croire, de lire, de regarder plein de films, d'être curieux. Quand on rêve de cinéma, c'est très important. Il faut être généreux et il ne faut pas être pressé. Parfois je me suis découragée, je me suis dit que n'arriverai jamais à faire un film comme ça, avec des amateurs. Mais je me suis battue, j'y ai cru et j'ai rien lâché. Il faut essayer d'être toujours dans le positif, de se faire du bien et d'apprendre le plus possible. Quand on rêve de cinéma, il faut aussi s'intéresser aux autres, sinon on n'ira pas très loin.

La bio express
Actrice, réalisatrice, scénariste : Hafsia Herzi ne manque pas de cordes à son arc. Elle commence sa carrière par des petits rôles, puis incarne Rym, le personnage principal du film La Graine et le Mulet, d'Abdellatif Kechiche, qui lui vaut le César du Meilleur espoir féminin en 2008. Ensuite, tout s'accélère et les rôles s'enchaînent. On la voit successivement dans Française, L'aube du monde, Un homme et son chien, Joseph et la fille, L'Apollonide – souvenirs de la maison close, La source des femmes, Sœurs, Mektoub my love... En 2019, ses envies de réalisation se concrétisent avec un premier long-métrage intitulé Tu mérites un amour, portrait d'une jeune femme qui promène son cœur brisé à la recherche de liberté. Aujourd'hui avec son deuxième long métrage, Bonne mère, elle précise son style, déploie son univers cinématographique et rafle une récompense à Cannes.