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Qui sont les "woke" ?

Voilà bien un mot qu’on entend à toutes les sauces, sans vraiment arriver à mettre le doigt sur ce qu’il implique. On tente de démêler le sac de nœud qui colle aux basques de cette notion étroitement liée au concept de « cancel culture ».

Le mot « woke » a été popularisé avec les événements du mouvement black lives matter qui, bien que né aux États-Unis, s'est propagé un peu partout dans le monde. Plusieurs sources font remonter l'utilisation de ce mot dès le début du XXe siècle, et même au XIXe au moment des mouvements antiesclavagistes aux États-Unis.
Aujourd'hui, « woke » fait référence à ceux qui sont « éveillés » aux injustices sociales comme le racisme et les violences policières subies par les noirs aux États-Unis, mais prend aussi un sens plus large et peut s'appliquer au sexisme ou à l'homophobie par exemple. Les woke sont donc ceux qui repèrent et dénoncent toutes les formes d'injustice et d'oppression, et souhaitent s'attaquer aux inégalités structurelles. Jusqu'ici, on ne voit pas très bien ce qu'on peut leur reprocher : qui ne veut pas d'un monde plus juste ?


Les « woke » seraient les principaux acteurs de la Cancel culture. La cancel culture consiste à « effacer » quelqu'un de la sphère publique (artiste, politique, chercheur par exemple), en dénonçant un comportement ou des propos considérés comme problématiques, voire condamnables. Les principaux opposants à la cancel culture redoutent la censure, et l'autocensure : que plus personne n'ose s'exprimer, craignant une réaction sur les réseaux qui pourrait avoir des conséquences graves, comme la perte d'un emploi ou l'effacement de la totalité d'un travail pour des considérations qui auraient été effectuées à la marge.
Alors qui sont-ils, ces « woke » ? A en croire ce qu'on entend sur les plateaux de télévision et dans certains discours politiques, ce sont des personnes hyper-connectées, qui opèrent sur les réseaux sociaux. Ce sont également des personnes très politisées, engagées contre le racisme, le sexisme, pour l'écologie, bref, sur tous les fronts et de toutes les batailles. Et surtout, selon leurs détracteurs, ce sont des personnes puissantes, puisque capables d'opérer une véritable transformation de la société, de dicter ce qu'il est possible de dire ou pas. Mais peut-on vraiment les considérer comme un groupe homogène ? On peut même se demander si les « woke » se revendiquent eux-mêmes en tant que tel ? Selon un sondage de l'IFOP, seulement 6% des français savent ce qu'est la pensée woke. On est donc assez loin du raz-de-marée idéologique.

I’m gonna Woke all over you

Assistons-nous à l'émergence d'un monde nouveau ? Les impacts concrets de ce courant sont à nuancer. En ce qui concerne #metoo par exemple, si une prise de conscience semble émerger et si les discours féministes sont en effet sur le devant de la scène, on ne peut que constater que le problème est loin d'être résolu. Certains profils hautement controversés n'ont pas franchement subi les foudres de la cancel culture : Polanski, Darmanin ou George Tron (qui a continué à occuper ses fonctions de maire de Draveil depuis la prison où il purgeait sa peine pour viol et agression sexuelle avant de démissionner à contrecœur) en sont les principaux exemples. Ce que l'on peut également constater, c'est que le « problème woke » est brandi pour un oui ou pour un non par tous ceux qui, à longueur d'antenne et de plateaux TV, clament qu'ils ne peuvent plus rien dire.
Pour prendre un exemple plus récent, fin septembre le chroniqueur Guillaume Bigot a qualifié Sandrine Rousseau (candidate EELV) de « Greta Thunberg ménopausée », ce qui lui a valu une levée de bouclier de la part de femmes considérant cette remarque comme hautement déplacée. Sa réponse ? Un tweet : « Mon allusion à la ménopause de Sandrine Rousseau manquait d'élégance. Désolé si j'ai blessé certaines d'entre vous mais je note que les attaques permanentes contre le « mâle blanc hétérosexuel » passent crème. Ce wokisme devient irrespirable. »


Le courant « woke » est à considérer dans un ensemble, celui des modes d'expression et de communication des réseaux sociaux, qui ne sont ni plus ni moins que des caisses de résonance. Ils ne sont pas, en tant que tels, à l'origine de nouveaux courants de pensée, mais ils permettent de donner de la voix et de la visibilité à des personnes qui n'étaient pas, ou peu, entendues jusqu'ici. Sauf qu'il ne faut pas oublier que ce fonctionnement s'applique dans les deux sens. Pour chaque woke qui parle, c'est un anti-woke qui répond. Le système permet à des personnes qui se sentent offensées par certains propos d'exprimer leur désarroi, à des anonymes de mettre au jour les agissements de plus puissants qu'eux, comme il permet aux autres discours, y compris les plus nauséabonds, de circuler. Ne nous laissons donc pas déborder, relativisons et surtout, réfléchissons à deux fois avant de dire sur tous les réseaux... qu'on ne peut plus rien dire.