Infobésité : l'heure de la diète a sonné !
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La flemme de lire le dossier ? On vous le raconte !
Posé dans votre canapé, vous vous plongez dans une lecture prometteuse. Alors que vos yeux parcourent le texte, votre regard est régulièrement attiré par la lueur de l’écran de votre téléphone. Malgré tous vos efforts pour vous consacrer tout entier à votre ouvrage, au bout de la 5e notification, vous n’y tenez plus. Que peut-il bien se passer dans le monde pendant que vous êtes peinard, installé sur votre séant ? Vous déverrouillez l’écran et lisez toutes les notifications. Puis vous faites un tour sur Twitter. Puis vous regardez une story. Et vous voilà, une heure plus tard, à scroller, scroller et scroller encore. Il vous faut savoir, coûte que coûte. Mais savoir quoi, exactement ? Vous avez mis le doigt dans un engrenage. Soudain, un sentiment d’urgence s’empare de vous. Face à l’immense complexité de ce monde, perdu dans une myriade d’informations, vous voici relativement stressé, un peu sonné, et pas plus avancé.
Ce phénomène s’appelle l’infobésité, une notion développée en France par Caroline Sauvajol-Rialland, maître de conférence à Sciences Po Paris et à l'Université catholique de Louvain. « L’obésité, explique-t-elle, c’est une surcharge pondérale qui a des effets négatifs sur le corps, et qu’on mesure par un ratio simple, à savoir le rapport entre poids et taille. Dans le cas de l’infobésité, le problème c’est l’excès de stimuli informationnels et communicationnels qu’on reçoit. Le risque n’est pas physique mais intellectuel, cognitif. À partir d’un certain seuil d’information, je suis saturé, et je ne peux plus utiliser l’information que je reçois. »
Notre propension à passer d’un lien à l’autre et à consommer goulument de l’information est bien connue des communicants et des grandes marques. Et pour eux, c’est un enjeu majeur, car notre « temps de cerveau disponible », pour reprendre l’expression de Patrick Le Lay (ancien PDG de TF1), c’est de l’argent. Ainsi, on estime souvent que le temps moyen d’attention d’un internaute est de 8 secondes. C’est moins que celui d’un poisson rouge. Il faut donc capitaliser sur cette poignée de secondes, et parvenir à happer le public par tous les moyens. Conséquence, les contenus proposés se condensent. Ils sont axés sur des thématiques qui font recette ou prennent des formes ludiques pour être plus vite assimilés. Plus question de proposer de longues argumentations, il faut désormais pouvoir, en un coup d’œil, extraire la substantifique moelle d’une information… quitte à en perdre les nuances et donc, la complexité.
De la fuite dans les idées
Autre technique pour entretenir l’attention de l’internaute : jouer sur la corde sensible. « La manière dont nous nous informons est assez nouvelle, estime Caroline Sauvajol-Rialland. Elle passe beaucoup par les vidéos, qui offrent un rapport émotionnel à l’information. Et ça, c’est un risque par rapport à notre capacité d’esprit critique. Il faut être capable de dissocier le vrai du faux, d’analyser ce qu’on reçoit. Plus on est dans l’émotion, moins on est capable d’émettre cette réflexion. Une étude a par exemple été menée après les attentats du marathon de Boston. Elle a montré que les gens qui avaient visionné entre 5 et 8 heures d’images sur ce sujet dans les semaines qui avaient suivi l’événement avaient développé un syndrome de stress post-traumatique. C’est tous les dangers de ces nouvelles formes d’info. »
Pourquoi diable nous soumettons-nous à de tels tourments ? Dans une étude publiée en 2018, des chercheurs de l’Université de Berkeley (Kenji Kobaashi, Ming Hsu (2018) Common neural code for reward and information value) aux États-Unis font un parallèle entre sucreries, argent et informations. Ces trois choses ont en commun d’agir sur le circuit de récompense de notre cerveau, en produisant de la dopamine. La dopamine, ou « molécule du bonheur », est produite par notre cerveau lorsque nous accomplissons une action. C’est une manière de nous récompenser lorsque nous avons bien travaillé ou acquis quelque chose. Or pour ce coquin d’encéphale, l’information, au-delà de son utilité, constitue une récompense et génère à elle seule un petit shoot de plaisir. Ainsi, non seulement les sites et autres applications sont conçues pour vous rendre accro, mais votre cerveau est fait pour se laisser prendre au jeu.
Cela ouvre fatalement la porte aux dérives : assaillis d’infos, nous ne parvenons plus à trier, à hiérarchiser. Et autant dire que nous n’avons pas de temps à consacrer à la vérification ! Les journalistes, qui ont pour fonction d’effectuer ce travail pour nous, se font damer le pion. Les prescripteurs ne sont plus nécessairement ceux qui détiennent le savoir, ou qui ont les compétences pour l’analyser et le retranscrire. N’importe quel individu doté d’une connexion Internet et d’un peu d’inspiration peut maintenant s’improviser économiste, politologue ou plus récemment, épidémiologiste. Résultat, il semblerait que les opinions prennent le pas sur les faits. On se souvient par exemple (non sans exaspération) de l’intervention de Véronique Genest sur CNews. L’objectif ? Recueillir son analyse des violences policières en sa qualité de… Julie Lescaut. En érigeant les opinions en informations, en consommant voracement l’actualité sans jamais prendre le temps de la digérer, on perd de vue des questions pourtant fondamentales. Comment produire une analyse critique, fouillée et argumentée à partir d’opinions piochées ici et là, et soumises aux aléas des algorithmes ?
Véronique Genest, comédienne : «Les gens ont de moins en moins confiance en la police» dans #Punchline pic.twitter.com/w7iSUCTVM4
— CNEWS (@CNEWS) June 4, 2020
Le fonctionnement même des réseaux sociaux encourage à la diffusion de réactions à chaud, et permet de donner une résonnance inouïe à un sacré paquet d’idioties et de contre-vérités. Ainsi, il paraît important de questionner la manière dont les opinions se forment et se propagent, dans la mesure où la mésinformation semble vivre ses heures de gloire, sans aucune embûche, aucun contrôle.
Tous en cure de désinfox
Pour tenter de comprendre comment les fausses informations circulent, les chercheurs italiens du laboratoire de sciences computationnelles de l’école IMT (Michela Del Vicario, Alessandro Bessi, Fabiana Zollo, Fabio Petroni, Antonio Scala, Guido Caldarelli, H. Eugene Stanley, and Walter Quattrociocchi (2016), The spreading of misinformation online) se sont penchés sur la question. Ils ont étudié les dynamiques de contagion sociale pour comprendre la manière dont les informations deviennent virales, la façon dont les opinions se forment. Ils ont passé au crible des masses de données issues de Facebook, et apporté plusieurs explications.
Première piste pour le moins alarmante : l’analphabétisme fonctionnel. Il s’agit de l’incapacité à comprendre correctement un texte. Cela concerne, en France, près de la moitié des personnes âgées de 16 à 65 ans, selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Autant dire que ça part très mal. Autre facteur important à prendre en compte : le biais de confirmation. Il s’agit de notre tendance à privilégier les informations qui nous confortent dans notre opinion, et à ignorer celles qui vont à son encontre, ce qui réduit drastiquement les chances d’arriver à un raisonnement nuancé. Ainsi, il est probable que vous soyez abonné à des médias qui partagent vos opinions, et que vous ayez soigneusement fait le tri parmi vos amis virtuels, afin de ne pas polluer votre fil avec des idées trop éloignées des vôtres. Comme le résume Caroline Sauvajol-Rialland : « Alors qu’on pouvait penser que les réseaux et Internet allaient nous amener à élargir notre champ de pensée et de réflexion, c’est finalement l’inverse qui se produit. »
Par ailleurs, les chercheurs italiens montrent l’efficacité relative des médias de vérification pour endiguer les fake news. En effet les complotistes, qui éprouvent une grande défiance vis-à-vis des médias traditionnels, y voient là une tentative supplémentaire des comploteurs de cacher la vérité, et finissent par partager encore plus d’infos complotistes. Bref : on n’est pas sorti des ronces.
Ménager ses méninges
« Si on est ce qu’on mange, on pense ce qu’on lit, ce qu’on écrit, ce qu’on écoute, estime Caroline Sauvajol-Rialland. Si on regarde BFMTV toute la journée, on va devenir le plus gros crétin de la Terre. J’invite les jeunes à lire moins, mais à lire des articles de fond. Il faut prendre en compte le continuum des connaissances, poursuit-elle. La donnée brute, c’est quelque chose qui n’a pas de valeur pour vous. Par exemple, aujourd’hui il fait -40°C au Kamtchatka. L’information, c’est quand cette donnée devient utile. Par exemple, si vous allez au Kamtchatka la semaine prochaine. Après, il y a le niveau de la connaissance, c’est-à-dire des informations structurées, intégrées à notre système cognitif, qu’on garde en mémoire. Enfin, le dernier degré c’est le wisdom. C’est quand on est capable de transmettre ses connaissances à quelqu’un d’autre. »
Autant vous dire que pour arriver à l’état de wisdom, il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Plusieurs solutions sont envisageables. La plus pragmatique serait de contraindre les réseaux à filtrer les informations, à les rendre plus fiables. Mais souhaitons-nous réellement octroyer un tel pouvoir aux géants du web ?
Il faut se rendre à l’évidence : nous allons devoir prendre les choses en main tout seul, comme des grands. Déjà, en se préservant des interruptions permanentes qui nous incitent à consommer l’information en continu. On prend donc quelques minutes pour faire le tri de nos newsletters et notifications, bref, pour s’interroger et limiter les flux qui nous parviennent. Ensuite, en essayant de sortir de notre bulle pour diversifier nos sources, et tenter de remettre (au moins de temps en temps) notre avis en question. On s’intéresse à des sujets en tentant d’en saisir les tenants et les aboutissants : on fait le bilan, calmement, vous connaissez la chanson. Et enfin, en décélérant. Épargnons notre petit cerveau autant que possible, et laissons-lui un peu de place pour apprendre des choses qui nous permettrons réellement de comprendre le monde qui nous entoure. Et on vous voit venir : ne nous dites pas qu’il y a une appli pour ça.
À suivre ...
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