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« Un pays qui se tient sage » : plongée terrible dans la répression des Gilets jaunes

Presque deux ans après le début du mouvement social, le journaliste David Dufresne signe un documentaire percutant sur la confrontation entre Gilets jaunes et forces de l’ordre. Il s’agit de son premier long-métrage diffusé au cinéma.

Âmes sensibles s’abstenir ! Le 30 septembre dernier sortait « Un pays qui se tient sage », un film coup de poing réalisé par le journaliste David Dufresne qui revient sur le traitement policier réservé aux Gilets jaunes lors de leurs différentes manifestations. Un documentaire marqué au fer de la violence et qui a pour objectif d’interroger le spectateur : quelles sont les limites de la violence légale, et à partir de quand devient-elle illégitime ?


Pour tenter de répondre à cette question cruciale qui taraude toutes les démocraties, le réalisateur a fait le choix de privilégier le sensationnel. En effet, tout le sel du documentaire réside dans les images tournées par les Gilets jaunes eux-mêmes et ayant capturé les instants les plus dramatiques du mouvement social. Mains arrachées, yeux énucléés, visages troués, corps à terre lynchés… Certaines séquences sont presque insoutenables tant elles sont cruelles. Tout est montré sans détour, ce qui permet à la réalité d’apparaître sous sa forme la plus prosaïque.

Alimenter la réflexion du spectateur

Malgré ça, le documentaire n’hésite pas à placer les victimes de ces violences face aux images qui les montrent se faire brutaliser. Une introduction à leurs témoignages, donnés face caméra, la gorge nouée et les yeux rougis, où rejaillissent des traumatismes qu’on sent encore très présents. C’est particulièrement vrai lorsque cette assistante sociale, assommée par un policier et laissée pour morte, met en relation la violence du quotidien avec celle des manifestants au terme d’une diatribe poignante. Si ces passages n’apportent pas nécessairement matière à contextualisation, ils soulignent la trace émotionnelle laissée par ces interventions brutales.

Pour encadrer tout ça et mettre ces violences en perspective avec l’époque et les principes républicains, plusieurs intellectuels se succèdent pour livrer leurs analyses. On y trouve entre autres l’écrivain Alain Damasio, le sociologue Fabien Jobard ou encore la juriste Monique Chemillier-Gendreau, pour ne citer que les plus brillants. Leurs interventions sont autant d’éléments de réponses aux questions que pose le concept de violence légale. Il est notamment question de l’horizontalisation de l’information permise par le smartphone et les réseaux sociaux, de l’absence de blessé mortel chez les forces de l’ordre malgré la forte présence d’armes dans les campagnes, ou encore des difficultés à avancer d’un même élan dans un pays reposant sur le dissensus et la liberté de penser. Chaque développement permet de nourrir le débat entourant la violence légale sans le trancher, permettant ainsi au spectateur de se faire sa propre opinion.

La police : omniprésente et absente à la fois

Toutefois, au terme de la projection, on ne peut s’empêcher de penser que le documentaire est nettement orienté, voire qu’il est à charge contre la police. L’absence de contrepoint, pourtant indispensable à tout travail journalistique, est problématique. En effet, la mécanique à trois ressorts sur laquelle repose le documentaire (images-choc, témoignage de victimes et analyses d’intellectuels) ne laisse quasiment pas de place aux forces de l’ordre. C’est tout juste si deux représentants de syndicat de police ont le droit de cité, l’un d’entre eux étant surtout là pour servir de punching-ball à Taha Bouhafs… De plus, les scènes d’interventions musclées ne sont jamais contextualisées : elles sont servies de manière brute, sans que le spectateur ne puisse savoir ce qui les a déclenchées… Enfin, la construction du documentaire est telle qu’on en viendrait parfois à croire que les forces de l’ordre forment une sorte de milice autonome. La stratégie mise en place par le pouvoir politique – dont elle est aux ordres – n’est jamais mise en cause, et ce, alors même que de nombreux éléments sortis dans la presse attestent d’une volonté claire d’endiguer le mouvement en instillant une forme de terreur dans les rangs des Gilets jaunes. Une stratégie qui s’est révélée payante puisque les plus pacifistes d’entre eux ont peu à peu cessé de manifester, laissant la place aux casseurs, aux anarchistes et autres séditieux d’extrême gauche.

En somme, le documentaire de David Dufresne est une œuvre à voir pour quiconque s’intéresse aux tensions qui permettent à un régime républicain de tenir debout. Il est une rétrospective bouleversante d’un des plus importants mouvements sociaux français et, à ce titre, mérite amplement le coup d’œil. Mais puisque les violences policières en sont le fil conducteur, il est regrettable que les premiers concernés n’aient pas davantage voix au chapitre. À la décharge du réalisateur, celui-ci conclut son documentaire en listant les représentants de la police qui ont refusé de s’exprimer devant sa caméra. Le tout dans un silence aussi inquiétant qu’éloquent…