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Germaine Tillion, fière intransigeante

Ethnologue, résistante, déportée, engagée pour l’Algérie, inflexible sur le plan de la décence et de la vérité, Germaine Tillion s’attachera toute sa vie durant à ses principes, ce qui lui vaudra quelques inimitiés. Un parcours rare dans un siècle chahuté par le chaos et qui pourrait bien apporter quelques précieux enseignements dans une époque à nouveau clivante.

NIVEAU DÉBUTANT - DANS LE TOURMENT DU XXe SIÈCLE

Née en 1907, Germaine Tillion grandit dans une famille à la fois républicaine et catholique. Élève appliquée, elle devient étudiante brillante et passionnée. Préhistoire, égyptologie, histoire des religions, folklore celtique : tout l'intéresse. Elle voyage aussi. En Allemagne en 1932, alors sur le point de s'offrir aux Nazis puis l'Algérie dans le cadre d'une mission ethnographique dans les Aurès en 1935. L'Histoire s'emballe et précipite sa destinée. En 1940, elle fuit la débâcle comme des millions de français. Sur la route, elle entend le maréchal Pétain à la radio appelant à "cesser le combat". Elle enrage : pas question de capituler. Elle s'engage dans l'un des premiers réseaux de Résistance. Appels à la désobéissance, hébergement de parachutistes anglais, elle donne aussi ses papiers d'identité à une famille juive. En 1941, elle est dénoncée. Le réseau est démantelé et elle et ses compagnons sont envoyés au camp de concentration de Ravensbrück. Sa mère, elle aussi résistante, s'y trouve. Elle y perdra la vie dans les chambres à gaz. Toute sa vie durant, Germaine Tillion cherchera à comprendre ce qu'il s'est passé. Libérée en 1945 grâce à l'intervention de la Croix Rouge, elle est envoyée en Suède où elle recueille des témoignages afin de mener une étude ethnographique sur le camp d'où elle vient d'échapper à la mort.


NIVEAU INTERMÉDIAIRE - L’ENGAGEMENT ALGÉRIEN

Après guerre, elle reprend son activité d'ethnologue et repart en Algérie. Les excès du colonialisme français déjà observés 15 ans plus tôt se sont exacerbés. Chercheuse autant qu'écrivaine, elle refuse de séparer histoire "objective" et vécu subjectif, elle ne s'impose aucune neutralité universitaire et s'engage pleinement dans la querelle algérienne. Sur le terrain comme dans le débat d'idées. Elle met en place des centres sociaux dans le pays, dénonce haut et fort la torture pratiquée par l'armée française tout en condamnant les attentats commis par le FLN. En 1957, elle se rend secrètement à la Casbah d'Alger pour rencontrer Yacef Saâdi, l'un des leaders de la lutte armée. Elle obtient du responsable algérien la fin des attentats contre les civils en échange de la promesse de l'arrêt des exécutions capitales par les militaires français. Plus de cinquante plus tard, lors de l'entrée de Germaine Tillion au Panthéon en 2015, Yacef Saâdi se tiendra dans l'assemblée, en témoignage de sa reconnaissance envers elle.

NIVEAU EXPERT - LA VÉRITÉ ENVERS ET CONTRE TOUS

Accusée d'avoir "contribué au désastre" par les partisans de l'Algérie Française, trop modérée et pas assez pro-FLN pour la gauche : Germaine Tillion maintiendra toute sa vie une éthique qui la verra être bousculée par tous les camps. C'est cette foi qui lui permet d'imposer l'enseignement en prison, alors inexistant en France, de s'engager pour l'émancipation des femmes autour de la Méditerranée ou de dénoncer à la fin de sa vie l'usage de la torture par les troupes américaines en Irak. Femme de conviction, elle était prête à tous les engagements, à la condition de ne pas leur sacrifier la vérité. "Dans une période où toutes les passions sont exaspérées et d'abord les nôtres ; où nous avons les nerfs à fleur de peau et le coeur au bord des lèvres, nous ne devons pas nous abandonner aux excès de notre agacement, ou de notre dégoût , mais nous devons nous efforcer de bien voir (le peu qu'on nous laisse voir), de bien comprendre et de bien juger". Et c'est écrit en 1941.