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On a testé l'ésotérisme

Vous fiez-vous aux cycles lunaires et à votre horoscope ou pensez-vous que tout cela n'est que pacotilles ? Chez Magma, les débats autour l'ésotérisme font souvent rage. Pour tenter de mettre fin à ce différend, Pauline, la croyante, et Léa, la sceptique, se sont prêtées au jeu en participant à trois expériences. La première ? Rencontrer une voyante pour se faire tirer les cartes. La deuxième : tester pendant une semaine le pouvoir des pierres. Et la dernière consistait à consulter son bilan karmique. Vont-elles changer d'avis ? Écoutez notre podcast pour suivre leurs différentes aventures...

Finalement, pourquoi l'ésotérisme est-il si intrigant et attire-t-il autant d'adeptes ? Magma a tenté de comprendre ses enjeux en s'entretenant avec Silvia Mancini, professeure à l’Institut d’histoire et d’anthropologie des religions à l’université de Lausanne. Elle étudie les traditions religieuses transversales et marginalisées. Perspectives historiques, scepticisme, efficacité : elle nous donne son éclairage sur les grandes questions soulevées par les pratiques ésotériques.

Quelles sont les origines des croyances et pratiques ésotériques ?

La plupart des sociétés humaines fonctionnent via des pratiques qui ont pour fonction de redresser l’ordre du monde, sans cesse soumis à des dérèglements. Ces pratiques s’appuient sur l’idée de correspondance entre macrocosmes et microcosmes : ce qu’il y a dans les cieux correspond à ce qui est sur terre ; ainsi, des correspondances existent entre les couleurs, les métaux, les plantes, les tempéraments, les harmonies, etc. On retrouve ce système de pensée dans l’Antiquité et dans beaucoup de sociétés. En occident, cette vision holistique a été mise en crise avec l’avènement de la science moderne, qui est marquée par la philosophie rationaliste de Descartes. À partir du XVIIe siècle, une séparation s’est mise en place entre les sciences de la nature et les sciences de l’esprit. Ainsi, la nature est supposée régie par des lois qui lui sont propres, et que la science doit restituer. L’esprit quant à lui sera envisagé aussi sous ce mode « mécaniste ». Cette mécanisation de la nature et de l’esprit met évidemment fin au système de correspondances.

Pourquoi cet engouement ?

Parce que les humains ont besoin d’être rassurés dans leur existence. L’Homme, par la culture ou les institutions, maîtrise d’une certaine manière le monde qui l’entoure. Mais la réalité le rattrape, parce qu’il est soumis aux déterminismes naturels : la maladie, la mort, la douleur, le changement lui-même. Il se trouve dans une position de déséquilibre permanent. D’où la nécessité de multiplier les garde-fous et les moyens de contrôle face aux impondérables de l’existence. Tous ces dispositifs symboliques, de nature mythico-rituelle, ont précisément cette fonction.

« La science sert à contrôler l’aléatoire. »

Nous sommes tous soumis aux mêmes impondérables de la vie. Comment expliquer que certaines personnes se réfugient dans ces pratiques, et d’autres pas ?

Il y a des personnes qui sont éduquées à une attitude que je qualifierais d’aprioriste, ce qui ne relève pas d’une attitude scientifique. Ancrés dans une tradition rationaliste, scientiste, qui donne comme allant de soi la non-réalité de certaines dimensions, ils font preuve de fermeture et dogmatisme. Poser en termes de « croyance » ou « non croyance » l’adhésion à ces approches alternatives est une erreur, car on n’a pas affaire là à des dogmes, à une « foi » (comme c’est le cas d’une religion révélée). La logique binaire : oui/non n’est pas pertinente lorsqu’on a affaire à l’expérience vécue, au ressenti, à la saisie intuitive de correspondances entre les choses. Au fond, tout comme le rituel, la science sert à contrôler l’aléatoire. Je pense que les personnes qui sous-estiment les dimensions symboliques font preuve d’ignorance, parce qu’elles n’ont pas compris la véritable nature du problème et s’obstinent à aborder la vie symbolique des humains avec comme référence le paradigme scientifique. Aujourd’hui, le questionnement soulevé sur la légitimité de cette science, qui en fin de compte s’est mise dès ses débuts au service d’un capitalisme violent, implacable, permet des ouvertures prometteuses.

Ces pratiques n’échappent pas non plus à une logique capitaliste…

Bien sûr. Mais le fait qu’il y ait des gens qui se servent de ça pour gagner leur vie de manière parfois malhonnête ne devrait pas discréditer pour autant, par exemple, une pratique telle que la divination en tant que telle, ou omettre de dire qu’il y ait des sujets doués de facultés psychiques non-ordinaires, qui sont d’ailleurs étudiés par des scientifiques. La fin de non-recevoir du discours officiel se manifeste par exemple dans le fait que les détracteurs de ces savoirs revendiquent des protocoles scientifiques de plus en plus rigoureux, des conditions d’objectivations de plus en plus impossibles à respecter. Ainsi, par exemple, il suffit qu’un sceptique fasse entendre son hostilité pour que le medium cesse d’activer ses pouvoirs et s’en trouve troublé. Comment prétendre d’appliquer un protocole scientifique, fait pour un monde neutre, sans prendre en compte que les faits à prouver sont strictement associés à l’état psychologique du sujet de l’étude, très sensible à son environnement ? C’est un dialogue de sourds !

« La question de l'efficacité est plus importante que celle de la vérité. »

Pour un citoyen moderne, il peut tout de même être désarçonnant d’imaginer que des pierres seraient porteuses de vertus, par exemple.

Je pense que la question se pose d’une autre manière. Je vous invite à regarder le documentaire d’un cinéaste Suisse, Pellerin, qui s’appelle Chacun cherche son chaman, à propos du néo-chamanisme, dans lequel il cherche à savoir si les pouvoir chamaniques sont fondés ou pas. C’est une question qui n’est pas pertinente. Si une voyante prédit que la lithothérapie va être efficace, cela produit, par ce drôle de phénomène de suggestion, un effet sur la personne. Dans ce cas, on s’en fiche de savoir si la pierre contient des propriétés actives ou pas. Il faut passer de la question vrai/faux, pertinente dans le cadre d’une étude minéralogique qui analyse les composantes physiques de la pierre, à la question efficace/inefficace sur les humains, question qui touche à un autre ordre de problème, en lien avec l’expérience existentielle et les processus d’auto-intervention de tout un chacun. La question de l’efficacité, du point de vue humain, est plus importante que celle de la vérité.