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Comment tu parles ?

C’est fou, le nombre d’articles qu’on voit passer sur le langage des jeunes. Certains sont ludiques, comme les quiz de vocabulaire ou un glossaire de nouvelles expressions. D’autres fois ils sont un peu gênants, ponctués de wesh et de gros. Parfois ils partent complètement en cacahuète, deviennent des pamphlets qui dénoncent l’appauvrissement de la langue et la décadence de la FrÔnce. Alors nous aussi, on a décidé de se pencher sur la question. Pour ça, on a discuté avec Médéric Gasquet Cyrus, un chercheur et maître de conférence en sociolinguistique qui n’a pas sa langue dans sa poche.

Pour aller plus loin

Ça s'étudie comment, une manière de parler ?

En voilà une question qu'elle est bonne. Sur quoi s'appuient-ils, les linguistes, lorsqu'ils décident d'étudier des conversations qui ont lieu dans des groupes fermés, en famille ou entre potes ? Sacré problème de méthodologie. Ils pourraient se déguiser pour passer incognito, investir dans des tenues camouflage, laisser trainer leurs oreilles. Le problème, c'est que leur simple présence compromet leur sujet d'étude : il suffit qu'on dise à quelqu'un « parle comme si j'étais pas là » pour qu'il se mette à dire n'importe quoi. Autre solution, s'appuyer sur des œuvres, comme des films ou de la musique (pour le parler jeune des banlieue on peut penser à La Haine ou à des morceaux de rap, par exemple). Mais cette option a des limites : les scénarios et chansons sont écrits, et manquent donc de spontanéité. L'idéal est de missionner des jeunes pour enregistrer d'autres jeunes, et ainsi constituer une base de données fiable. Ensuite, reste à étudier ledit langage. Pour ça, on analyse le lexique, bien sûr, mais pas seulement. Entre aussi en compte le débit de parole, les intonations, l'ordre des mots. L'objectif ultime : comprendre les fonctions de la langue. Autrement dit, comprendre quels mots sont utilisés, pourquoi, et à quels besoins d'expression ils correspondent : pour influencer son interlocuteur, entretenir son attention, faire passer ses émotions.

La linguistique appliquée au « parler jeune »
Mais alors comment parlent-ils, ces jeunes, nom de bois de boutique ? Les recherches effectuées pour ce dossier nous ont ouvert un monde fabuleux, celui de la linguistique et de son savoureux lexique. A partir de l'article Le phénomène du détournement dans le langage des jeunes de Silvia Palma, nous avons demandé quelques éclaircissements à Médéric.

Affrication des plosives vélaires et dentales en position prévocalique
Explication : en phonétique, c'est une manière de prononcer les consonnes, selon certaines voyelles, en faisant un frottement.
Exemple : « Tchia pas compris ? »

Détournement
Explication : c'est quand on utilise quelque chose pour dire autre chose. Cash est utilisé pour le paiement en espèce, comme dans le sens de franc, direct.
Exemple : « Il m'a dit ça cash ».

Morphosyntaxe
Explication : la morphologie c'est la forme des mots, syntaxe c'est l'ordre des mots dans la phrase. La morphosyntaxe c'est la relation entre la forme et la grammaire. Ça peut être un verbe transitif, comme craindre, utilisé comme intransitif.
Exemple : « putain, ça craint ».

Réduplication
Explication : on répète deux fois la même syllabe.
Exemple : « tu vas finir en zonzon ».

Suffication
Explication : on ajoute un suffixe à un mot.
Exemple : « il est venu en kamtar ce zonard ».

Troncation par apocope ou aphérèse
Explication : couper la fin ou le début d'un mot.
Exemple : « il a fait du biz, il va avoir des blèmes».